En juin 2018, l’artiste luxembourgeoise Carine Krecké tombe par hasard sur une série de photos sur Google Maps montrant la destruction d’Arbin, une ville de la banlieue nord-est de Damas. Ces images déclenchent chez l’artiste une obsession qui, pendant six ans, la pousse dans une quête effrénée à l’information. Plongeant au cœur des réseaux officiels, des forums et des plateformes d’échange de tous horizons, elle explore les récits de destins tragiques, collectifs et individuels. Face à la masse d’informations à vérifier, Carine Krecké mène son enquête sans relâche, recoupant les témoignages depuis son écran d’ordinateur. Elle n’hésite pas à s’exposer au danger en s’immergeant et s’immisçant dans des discussions, en infiltrant des réseaux et en s’appropriant des outils d’investigation et d’analyse. Hyperinformée sans jamais perdre son sens critique, l’artiste oscille entre lucidité et vertige, hypnotisée par les images et les récits, prisonnière d’un brouillard de guerre où réalité et hallucination se confondent.
Avec Perdre le nord, Carine Krecké revient sur une immersion totale et intime dans un univers qui n’était pas le sien : la guerre en Syrie. Elle déconstruit (et reconstruit) son expérience d’investigation, à la fois affective et immersive, en prenant du recul face aux images, aux protagonistes et aux enjeux de son enquête.
L’exposition devient alors un espace de mise en tension entre le réel et sa représentation, où les documents collectés, les récits et les fragments visuels interagissent avec l’architecture qui les accueille. À travers un ensemble de vidéos inédites et un dispositif scénographique conçu comme une cartographie sensible, les spectateur·rice·s sont invité·e·s à se frayer un chemin parmi ces traces et à expérimenter, à leur tour, une forme d’errance dans ce labyrinthe d’informations et de perceptions.
En projetant son enquête dans un dialogue avec l’espace et avec les personnes qui le traversent, Carine Krecké questionne la pertinence du regard face à la guerre et aux images qui en témoignent. Confronté à ces visions recomposées, le public devient acteur de l’expérience, y apportant son propre vécu, ses émotions et ses interprétations. L’exposition ne se limite donc pas à un simple récit : elle est une invitation à repenser notre rapport à l’information et à l’image en temps de conflit.