La Camargue témoigne d’une histoire singulière forgée par les éléments : ici, depuis les origines, l’eau, la terre et le vent se sont rencontrés et combattus.

La Camargue : une histoire au miroir de l’eau

Il y a près de 3 millions d’années, un premier fleuve, la Durance, comble l’ancien golfe marin de la fin du Tertiaire. Au début du Quaternaire, il y a environ 1,6 million d’années, un second fleuve, le Rhône, déferle vers la Méditerranée et dépose à l’Est ses propres alluvions. La formation du delta commence, perturbée par les variations du niveau de la mer. Il faudra attendre que son niveau se stabilise, il y a environ 7 000 ans, pour que des milieux semblables à ceux de la basse Camargue d’aujourd’hui soient formés. Enserrée entre la mer Méditerranée et les deux bras du Rhône, ce territoire n’est peuplé par les hommes qu’à partir de l’Antiquité pour en exploiter les ressources et contrôler les échanges entre la Méditerranée et le continent par le fleuve.      

Face à la force des eaux du Rhône, longtemps les hommes se sont inclinés. Il faut attendre l’ère industrielle et Napoléon III, pour que l’État, sous la pression des grands propriétaires camarguais, finance l’endiguement de la Camargue pour la défendre des inondations et mettre les biens et le bétail en sécurité.

La Camargue commence alors sa mutation, devenant une île enclose dans ses digues dépendantes de réseaux hydrauliques. Aujourd’hui, plus de 150 pompes réparties le long des deux bras du fleuve distribuent l’eau dans plusieurs centaines de kilomètres de canaux dont la gestion est, pour les deux tiers, collective et pour un tiers, privée.

Vue aérienne de l'embouchure du grand Rhône
Embouchure du grand Rhône

Arles, un port au carrefour du commerce

L’activité fluviale d’Arles remonte à l’Antiquité. Le delta du Rhône, à l’époque romaine, est une zone très fréquentée par les navires marchands.  Arles est en effet un carrefour qui tient une place privilégiée pour les échanges commerciaux du monde romain. Les fouilles archéologiques ont mis à jour plus de 600 objets qui en témoignent. Des trésors conservés par le Musée départemental d’Arles Antique.

L’Église et les premiers bâtisseurs

Tour vieille en Camargue
© PNR Camargue

Le Moyen-Âge, est la période de la chrétienté durant laquelle de nombreuses églises sont construites le long des bras du Rhône. Des tours et des enceintes sont bâties afin de se protéger des invasions et des pirates, tandis que des postes de vigie ou des phares sont érigés pour faciliter la navigation sur le Rhône.

Au Nord de la Camargue, sous l’influence d’Arles, l’agriculture céréalière et la viticulture sont importantes. Au Sud de la Camargue, les terres plus marécageuses sont beaucoup moins peuplées, et l’activité est principalement dédiée à la pêche et à l’exploitation salinière. Le Moyen-Âge est aussi la période des moines bâtisseurs : les cisterciens bâtissent des abbayes fortifiées, telles l’abbaye d’Ulmet et de Sylvéréal, longtemps appelées les « abbayes du sel ». Les ordres religieux, Bénédictins et Cisterciens, défrichent, structurent l’agriculture, et entreprennent des ouvrages de protection contre les inondations du Rhône.

Entre le XVème et le XVIIème siècle, la Camargue prospère grâce à de nouveaux aménagements hydrauliques et à l’exploitation du sel qui s’organise. Le port d’Arles devient un important carrefour pour le négoce. 

Le temps des grands domaines

Les XVIIIème et le XIXème siècles assistent à l’arrivée de nouveaux propriétaires en Camargue. L’économie s’organise et s’adapte : les terres hautes, généralement irriguées, sont vouées à l’agriculture, les terres plus basses et plus salées, sont consacrées à l’élevage, et les marais, sont dédiés à la cueillette et à la chasse. Les grandes propriétés développent la culture céréalière et l’élevage ovin, puis, entre 1870 et 1942, la viticulture, que la submersion prolongée des sols épargne du phylloxéra. Le château d’Avignon, construit au XVIIIème siècle et racheté à la fin du XIXème siècle par Louis Prat Noilly, un riche négociant marseillais, producteur de vin et d’un vermouth : le Noilly Prat. Une période qui témoigne magnifiquement de cette époque prospère.

Vue aérienne du Château d'Avignon en Camargue
Château d’Avignon© Opus Species

Le XXème siècle : mutations et prise de conscience

Elevage de moutons en Camargue
© J. Faure

Le XXème siècle, voit la Camargue considérablement évoluer.  À partir de 1942, la riziculture connaît un essor important que le plan Marshall, en 1946, contribue encore à étendre. L’élevage du mouton Mérinos d’Arles autrefois fortement présent en Camargue laisse peu à peu sa place aux manades de chevaux et de taureaux.

Le tourisme se développe et attire une nouvelle population. Dès le début du siècle, la question des équilibres environnementaux devient un enjeu. Un nouvel équilibre est alors recherché entre le développement économique et la protection de l’environnement. C’est ici, qu’en 1927 est créée la première et la plus grande Réserve naturelle de France métropolitaine puis le Parc naturel régional de Camargue, en 1970.

Folco de Baroncelli, « l’inventeur » de la Camargue

Le marquis Folco de Baroncelli-Javon sur son cheval
Le marquis Folco de Baroncelli-Javon sur son cheval

Il est impossible de comprendre l’image de la Camargue d’aujourd’hui sans faire connaissance avec Folco de Baroncelli. Né à Avignon d’une famille issue de l’aristocratie florentine en 1869, cet homme a voué sa vie, son énergie et son imagination à la Camargue à laquelle son nom reste à jamais associé.

C’est à Bouillargues dans le Gard, où vit sa grand-mère, qu’enfant, il voit ses premiers taureaux et apprend le parler régional, celui du peuple. Plus tard, alors qu’il est étudiant, il fait une rencontre décisive : celle de Frédéric Mistral, poète fondateur du Félibrige, une association consacrée à la préservation des langues et des cultures spécifiques des pays d’Oc.

En 1893, Folco a 24 ans et choisit son destin : il sera manadier. Il achète ses premières bêtes et crée l’année suivante la  » Manado Santenco  » aux Saintes-Maries-de-la-Mer où il s’installe définitivement en 1899. Devant tant de détermination et de passion Mistral lui déclare :  » Je te confie la Camargue, Folco. Tu la connais mieux que moi. Défends-là ! « . Son but ? Reconquérir la pure race du taureau de Camargue, croisée avec des taureaux d’origine espagnole depuis l’adoption de la corrida. En 1909, il crée la Nacioun gardiano, la «Nation gardiane ». Destinée à faire connaître les traditions camarguaises, elle participe activement à la codification de la course camarguaise naissante. C’est aussi au Marquis que l’on doit la croix de Camargue qu’il commande en 1926, au peintre Hermann Paul. Une croix qui, à sa demande, doit représenter les trois vertus fondamentales des camarguais : la foi, l’espérance et la charité.

Nacioun gardiano (la «Nation gardiane »)
Nacioun gardiano (la «Nation gardiane »)

Tous les témoignages insistent sur la grande humanité et la générosité de l’homme. Mais le trait marquant de son caractère, outre sa ténacité, réside dans ses prises de position en faveur des minorités opprimées.  Il soutiendra les gitans et leur pèlerinage, et c’est à sa demande, que l’Archevêque Monseigneur Roques accepte que la statue de la patronne des gitans, Sara, soit pour la première fois amenée jusqu’à la mer, en 1935. Depuis, la population gitane n’a plus à se cacher pour honorer sa patronne et désormais, ce pèlerinage rassemble chaque année, au 15 août, des milliers de personnes.

Croix du Pont du mort
Croix du Pont du mort

Plus inattendu, c’est la rencontre de Folco de Baroncelli avec Joë Hamman, acteur du show de Buffalo Bill, qui consacre la Camargue comme capitale du western français. Une histoire étonnante et mal connue.

Décédé en 1943, le Marquis Folco de Baroncelli est enterré à l’emplacement des ruines du Mas du Simbèu dans lequel il vécut. Tous les 26 mai, à l’issue des journées de pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer, les camarguais, les gitans et, quelquefois, des descendants des indiens Sioux ou des Massaï viennent lui rendre hommage pour le soutien qu’il a apporté aux peuples primitifs opprimés.